Un gaucho et un glacier
Au cœur de la pampa, la ville d’El Calafate est à l’image de toutes les villes de Patagonie, désespérément horizontale et quadrillée. Mais je ne suis pas là pour ce qui n’était au début du XXe siècle qu’un petit village de pionniers. Aujourd’hui, Calafate est le point de départ pour se rendre au glacier du Perito Moreno, raison de mon escale ici.
Ce qui n’est qu’une piste poussiéreuse devient peu à peu asphalte. Des flamands roses s’étirent majestueusement dans la lagune. Condors et aigles tournoient au-dessus de ma tête. Un zorro (petit renard patagonien) passe devant la voiture. Soudain, une centaine de moutons bloquent la route. Un gaucho remet bon ordre dans le troupeau pour nous laisser passer.
Quelques dizaines de kilomètres plus loin, je m’arrête dans une estancia : c’est l’heure du maté mais je n’ai plus d’eau chaude dans mon thermos. Le squelette d’une tête d’animal m’accueille à l’entrée du bâtiment principal. Je me demande si au fond j’ai vraiment envie d’un maté… Mais la porte s’ouvre avant que je ne prenne une décision. Surprise, c’est le gaucho que j’ai croisé un moment plus tôt qui apparait. Et visiblement, c’est l’heure du maté pour lui aussi. Son visage buriné n’est pas des plus chaleureux. Sans un mot ni un sourire, il me fait chauffer de l’eau. La bouilloire se met à siffler alors que nous n’avons pas encore échangé un mot. De sa main calleuse, il remplit mon thermos. Je tente une approche. Lui demande combien de têtes comptent son troupeau. Si la solitude ne lui pèse pas trop dans cette immense et venteuse Patagonie. Soudain, l’homme se déchaine. M’explique qu’il ne peut pas être seul puisqu’il s’occupe de 6oo moutons. Que la solitude, c’est moi qui dois en souffrir dans ma grande ville où personne ne se parle. Il me dit que je dois être bien triste dans ma vie pour ressentir le besoin de quitter les miens pendant un an. “Moi, ma terre suffit à mon bonheur. Toi, tu dois parcourir le monde pour trouver le tien et je parie que tu ne le trouveras pas.” Dur. Je ne saurai rien d’autre de ce gaucho, pas même son prénom.
Le maté me réchauffe un peu. La steppe fait peu à peu place à la forêt. Et c’est enfin l’entrée du parc des glaciers. Plus que quelques kilomètres et… le géant de glace apparait. Quinze kilomètres de long, 5 de large et une superficie qui équivaut à la ville de Buenos Aires. Le Perito Moreno est l’un des glaciers les plus vivants du monde. Il peut avancer de 2 mètres par jour. Difficile de résister à sa beauté : la réflexion de la lumière le rend bleu électrique à certains endroits. Le vent est tellement fort que j’ai du mal à tenir debout. La pluie se transforme par moment en grêle. Quelle chance : plus il fait moche, plus le Perito se pare de bleu. Et je parie que personne ne l’aura vu aussi bleu que moi je ne l’ai vu…
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