Le mystérieux lac Titicaca

 

 

 

Ma montre indique qu’il est 8 heures du matin. Devant moi, le lac Titicaca, berceau de la civilisation inca et plus haut lac navigable au monde avec ses 3810 mètres d’altitude. Je viens de prendre place à bord du bateau qui me mènera d’abord aux îles Uros, puis à l’isla de Amantani où je passerai la nuit dans une famille, et enfin, le lendemain, à l’isla de Taquile. Le bateau se met en branle. Ce lac, j’en ai rêvé lorsque, dans mon 2 pièces du XXe arrondissement de Paris, je préparais ce voyage.

 

Mais la première impression est plus que mitigée. Au bout d’une trentaine de minutes de navigation, nous arrivons aux îles flottantes, plus communément appelées les îles Uros, en référence au peuple qui y vit. Ou qui y vivait plutôt. Car la dernière authentique Uros est morte en 1959. Depuis, les Indiens aymaras, sentant le bon filon touristique, se sont installés sur ces îles en se faisant passer pour des Uros. Plus rentable auprès des visiteurs… Sur une île de 10 m2, 4m2 sont réservés à la vente d’objets pour les touristes. Et si vous n’achetez rien, hop, vous êtes priés de remonter fissa dans votre bateau pour laisser votre place à d’autres acheteurs potentiels. Et moi qui rêvait de spiritualité inca…

 

 

 

Midi à ma montre. Il est de toute façon temps de reprendre le bateau. Destination Amantani où m’attend ma famille d’adoption d’un jour. Je trouve le paysage décevant. M’endors quelques dizaines de minutes. Me réveille en sursaut. Il est enfin là le lac Titicaca dont je rêvais. Au loin, des sommets à plus de 6000 mètres et leur neige éternelle. Au port d’Amantani, je suis accueillie par Dona Maria. Difficile de lui donner un âge. Elle semble avoir plus de 100 ans tellement son visage est fait de milliers de toutes petites rides. Maria ne parle que quechua, comme la plupart des anciens de l’île. Je regarde ma montre. Les chiffres sont à moitié effacés. Etrange. Je crois tout de même deviner qu’il est 15h30.

 

Arrivée à la maison, je suis heureuse d’apprendre que Luis, le frère de Maria, parle espagnol. Luis n’a jamais mis les pieds hors de son île. Avec seulement quelques heures d’électricité par jour à la maison, sans éclairage public dans le village, sans eau courante, sans avoir quasiment jamais mangé de viande et surtout sans regrets. "Crois-moi, Titicaca est le centre du monde et le centre de toutes les énergies positives, m’assène-t-il. Je n’ai besoin de rien d’autre."

 

Et c’est en m’emmenant au sommet de l’île, à 4100 metres, où le temple de la Pachamama veille sur les habitants, que Luis livre sa vision de la vie. Alors qu’Amantani se pare de rose sous l’effet du soleil couchant, le vieil Indien m’explique : "Je sais que dans ton pays, c’est chacun pour soi. Ici, nous vivons en communauté. La répartition des cultures, des gains du tourisme… Tout est redistribué en fonction des besoins de chaque famille. C’est ça être quechua, c’est savoir partager avec les membres de sa communauté." La nuit tombe. Plus aucun chiffre ne s’affiche sur ma montre. Mystère. C’est à la lumière d’une lampe torche que nous rentrons à la maison. En chemin, Luis, bien plus vaillant que moi du haut de ses 60 ans, insiste sur la magie du lac. "Un lieu rempli d’énergie, redit-il. Lors du tsunami en Asie du sud-est, Titicaca a tremblé. Un volcan gronde quelque part dans le monde ? Titicaca tremble. Titicaca est le monde, il ressent chacun de ses soubresauts."

 

Sûr qu'après avoir passé la nuit sous le toit de Luis et Maria, mon monde ne sera plus vraiment pareil. Il me sera difficile de les quitter. Pourtant, au matin, alors que ma montre ne donne toujours pas signe de vie, je reprends le bateau pour me rendre à Taquile. Paysages enchanteurs. Mais là encore une dure réalité : comment parler aux gens alors que l’île entière est tournée vers le tourisme ? Tandis que j’arpente l’île sur des sentiers qui montent et descendent sans cesse, je me demande quel sera l’avenir des enfants d’Amantani et de Taquile. Sauront-ils préserver leur culture quechua ? Continueront-ils à croire comme Luis que Titicaca est mère du monde ? Ou cèderont-ils définitivement aux sirènes du tourisme ?

 

Deux heures de bateau plus tard, c’est l’heure d’accoster à Puno, première ville péruvienne sur la côte du lac. Ma montre remarche comme par miracle. Il est 16 heures.
 

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2 Comments
le syndrome du MAM ( mal aigu des montagnes ) vient de s'enrichir d'un nouveau symptôme de la montre qui perd la boussole, je ne manquerai pas de signaler cette découverte à notre prochain congrès consacré à ce sujet ,à moins que ce ne soit provoqué par des dieux andins dérangés dans leur léthargie. sinon excellent billet
Le temps a l'air de s'arrêter dans ces régions... Dona Maria en témoigne.

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